Il est une ville italienne qui, dès que l’on prononce son nom, fait briller les yeux des femmes et palpiter le coeur ; comble du romantisme et de l’amour éternel.

Qui parmi vous  n’a pas rêvassé à l’idée de traverser son grand canal à bord d’une gondole et d’embrasser son amoureux(se) sous le pont du Rialto ?

Venise c’est LA ville de l’amour et surtout une destination incontournable en couple quelle que soit la saison. Il y a toujours de la beauté et de l’enchantement à traverser ses quartiers.

Il m’aura fallu 15 ans pour réaliser cela.

Parce qu’ il suffit qu’un événement dramatique en ternisse la découverte et vous traînerez avec vous une image maudite de ce lieu pendant des années.

Alors qu’autour de nous, on s’extasie sur le côté pittoresque de ses 435 ponts, sur ses masques de carnaval aux mille teintes, Patrice et moi ne ressentions que le goût amer et la tristesse d’un événement qui aurait pu être le plus horrible pour des parents. La perte de son enfant.

Si, vous qui me lisez êtes une maman ou un papa, vous comprendrez sans difficulté à la lecture de ces quelques lignes ce que nous avons pu vivre et pourquoi Venise était devenu pour nous une ville « maudite ».

Logan, à 23 mois, avait déjà pris l’avion et effectué son premier voyage vers le Canada un mois auparavant. A l’époque Patrice et moi participions à de nombreux jeux-concours créatifs sur internet. C’est suite à l’un de ces concours que nous avions gagné un weekend à Venise. C’est tout naturellement que nous avons voulu en profiter ensemble, en famille.

Certains auraient cherché à faire garder leur petit bout de chou par un proche afin de profiter au maximum de cette splendide cité romantique. Nous, nous n’envisagions pas d’en faire la découverte sans notre fils.

Le départ était prévu pour le dernier weekend d’octobre.

Seule ombre au tableau : une fièvre qui persistait depuis une quinzaine de jours. Elle revenait pendant 2 jours puis disparaissait sans aucun autre signe annonciateur d’une maladie enfantine.

Comme toute jeune maman, mon inquiétude grandissait. Lors d’un gros pic de fièvre, je m’empressais de téléphoner à son pédiatre pour demander conseil.

Celui-ci tentait de me rassurer :  je m’affolais certainement pour bien peu de choses.

Mais, lors d’un nouvel appel de ma part suite à autre pic de fièvre – le thermomètre frôlait les 39 – le médecin m’invita  à emmener Logan à son cabinet.

Il faisait déjà nuit, Logan installé dans sa poussette, bien emmitouflé dans une couverture, je filais à toute vitesse vers celui qui allait, enfin je l’espérais, soigner mon bébé.

Que dire sur cette consultation ?

Qu’après m’avoir fait patienter une vingtaine de minutes dans sa salle d’attente, la fièvre avait diminué, que l’auscultation de Logan se résuma à une exploration de sa gorge. Il la trouva un peu irritée. Il palpa négligemment son ventre et lorsque je l’informai que Logan se plaignait de douleurs à cet endroit, il n’y prêta que très peu d’attention.

Il n’y a qu’une jeune maman pour écouter son enfant de 23 mois…

Pour lui, il s’agissait d’un début d’angine… Il ne prescrivit aucune analyse d’urine ou de sang… et me renvoya chez nous sans rien de plus.

Notre fameux séjour en Italie approchait et cette satanée fièvre avait disparu. Le pédiatre avait peut-être raison après tout, je m’affolais pour rien.

C’était lui le spécialiste après tout, moi une jeune mère encore inexpérimentée.

Le jour du départ pour notre weekend à Venise en famille  arriva.

Direction l’aéroport de Nice. Nous laissons notre voiture sur le parking pour 2 jours.

Le vol se passe normalement, notre arrivée à Venise et notre installation dans un petit hôtel du centre également.

Logan semble bien aller. Peut-être l’ai-je un peu trop couvé ?

Les températures sont agréables en cette fin octobre. Dans son pull over bleu, mon fils gambade tout sourire après des dizaines de pigeons qui envahissent la célèbre place San Marco et s’envolent sous ses éclats de rire.

place san marco venise logan 2001

Logan a 23 mois- Octobre 2001

Patrice et moi effleurons son front à de multiples reprises, toujours inquiets que cette fièvre ne fasse de nouveau son apparition. La boite de Doliprane ne quitte pas mon sac à main. Au cas ou…

Nous avions prévu avec nous une poussette canne, même si son utilisation fut un peu complexe à chaque changement de quartiers, elle nous fut bien utile le lendemain.Des tas d’escaliers à monter et à descendre, des ruelles étroites dans lesquelles se pressent des touristes en quête de bibelots typiquement vénitiens.

Une dégustation de pasta dans un petit restaurant près de notre hôtel, une nuit reposante et un réveil matinal au son des cloches du Campanile de Saint-Marc.Nos premières 24 heures à Venise se déroulent en douceur.

Mais voilà que le matin suivant, Logan n’a pas tellement envie de courir après les pigeons, il préfère le confort de sa poussette. Il ne semble pas très bien. La balade dans Venise se fait paisiblement en attendant de rejoindre par le car, l’aéroport…En début d’après-midi, le visage de Logan se réchauffe un peu trop et cela n’est pas du au soleil. Son front est chaud.Nous décidons de ne pas trop tarder et de nous rendre à l’aéroport.

Lors d’un change,  j’en profite pour lui administrer un suppositoire Doliprane. Notre vol n’est pas prévu avant des heures. L’attente va être longue.Je repense à ce que m’a dit le pédiatre  » Je m’inquiète trop. »  Ce type de fièvre est fréquent chez les jeunes enfants. Ce soir, nous serons chez nous et Logan dormira dans son lit.

Ce n’est rien. Rien de grave.

Assis dans l’avion, Logan blottie contre moi, je sens la fièvre revenir. Mais cette fois-ci son regard est vide, son teint pâle devient bleu…Pressentant qu’il faut agir au plus vite, Patrice se lève et tonne : « y a-t-il un médecin dans l’avion ? »

Je serre mon bébé plus fort contre moi. J’ai l’impression d’être dans un mauvais film, comme détachée du réel. Une femme répond à l’appel de mon mari. En même temps qu’une hôtesse de l’air, elle s’approche et s’assoit à côté de moi. C’est un docteur. Elle se penche vers Logan et l’ausculte. Elle me questionne brièvement. D’un ton qu’elle essaie de rendre le plus rassurant possible, elle annonce que Logan fait des convulsions. Elle intime l’hôtesse à ramener rapidement des poches de glace pour en couvrir Logan afin de faire tomber la fièvre. On lui donne à nouveau un Doliprane sous les conseils du médecin. Celle-ci nous précise qu’on avait bien fait de faire cet appel parmi les passagers : quelques minutes de plus et il aurait été trop tard !

Nous devions nous rendre dans un hôpital dès l’atterrissage. Les minutes semblent durer des heures. L’avion se pose enfin sur la piste. Le personnel à bord avait prévenu une équipe médicale. Nous sortons en premier de l’avion sous le regard inquiet et ému de certains passagers et les paroles rassurantes des hôtesses et du médecin.

Je monte avec Logan dans le véhicule des pompiers. Patrice retourne à la voiture pour nous suivre jusqu’à l’hôpital le plus proche. Ce weekend à Venise se termine au son des sirènes hurlantes dans les rues de Nice.

Je vous passe la nuit et le lendemain passés à l’hôpital à attendre des examens et un médecin qui ne vient pas. La fièvre de Logan est toujours là. Son état est stable, mais toujours aucune explication.Le service pédiatrique de cet  hôpital ne nous rassure pas. Le personnel est débordé, manquant de moyens pour s’occuper convenablement des enfants.Nous n’en pouvons plus d’attendre et de constater l’impuissance des soignants. Dans l’après-midi, nous demandons à changer d’hôpital et signons une décharge sous le regard froid d’un médecin pour quitter cet établissement. Nous préférons rejoindre l’hôpital de la Seyne-sur-mer où nous vivions plutôt que d’attendre encore le lendemain que quelqu’un veuille bien s’intéresser à notre bébé malade.

Un autre Doliprane pour la route, pendant laquelle je guette sans relâche un signe de défaillance sur le visage de mon fils.

Partir ainsi avec votre enfant est dangereux. Il peut mourir pendant le trajet. Vous en serez responsables !

Ces mots terribles résonnent dans nos têtes mais Patrice et moi savons que nous prenons LA bonne décision.

Suite à notre arrivée à l’hôpital de la Seyne-sur-Mer, les examens et surtout le diagnostic, arrivent le soir-même : Logan à une pyélonéphrite, une infection urinaire touchant les reins. Le pédiatre aurait du faire des analyses …mais il est également le chef du service pédiatrique de l’hôpital… et son incompétence ne sera jamais trop ouvertement remise en cause.

Au final, l’hospitalisation de Logan aura duré 1 semaine. Une semaine très difficile pour Patrice et moi. Nous relayant auprès de notre enfant, dormant  dans un lit de camp dans sa chambre pour être là à son réveil. Pour qu’il ne ressente jamais un sentiment d’abandon.

Puis, des semaines de traitement antibiotique, d’examens de contrôles à l’hôpital de la Timone (Marseille) car cette infection aura touché l’un de ses reins assez fortement. Fort heureusement, l’état de santé de Logan s’améliorera sans avoir besoin de passer par l’étape « opération lourde » proposée par le professeur qui le suivait.

Cet événement est le plus marquant de notre vie de parent. Peut-être a t-il été aussi le déclencheur de nos choix éducatifs ?  Maman poule avant, je le devins encore plus.

Venise était devenu un mauvais souvenir. Nous aurons à chaque mention de cette ville, le coeur qui bat plus vite et cette horrible pensée que notre enfant aurait pu mourir dans l’avion de retour.

Il aura fallu 15 ans avant que nous ne posions de nouveau les pieds sur la plaza San Marco. Logan est bien trop grand pour courir après les pigeons et pourtant, quand je le regarde, c’est ce petit bonhomme blond  que je vois. Son sourire d’ange et son rire cristallin. L’image du bébé blotti contre mon sein, le teint bleu et le souffle court s’estompe peu à peu. Nous sommes là tous les trois, debout, sur le pont du Rialto, regardant dans une même direction.

Le jour descend sur Venise mais cette fois-ci je quitte la ville romantique avec une pointe de regret : je suis enfin tombée sous son charme.